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Dysphasie Normandie
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13 octobre 2008

29 ans d'expérience de la dysphasie

témoignage

Je suis intervenue en novembre 2007 au Congrès de Normandys où l’on m’avait demandé de faire part de l’expérience de parents d’un enfant dysphasique.

Vous trouverez ci-dessous le texte qui a servi de base à mon intervention.

Petite enfance

V. était notre premier enfant. Il est né en 1979, après une grossesse et un accouchement normaux. La première année a été marquée par des difficultés d’ordre alimentaire qui nous ont assez rapidement angoissés. Il mangeait très peu et sa croissance était lente mais n’inquiétait ni le médecin généraliste ni le pédiatre qui le suivaient et nous rassuraient. Il a prononcé ses premiers mots « papa » et « maman » vers un an et marché à 17 mois. Nous avons commencé à nous inquiéter sérieusement vers deux ans car il ne disait rien de plus; il s’exprimait par monosyllabes et se faisait comprendre par gestes. Pour notre part, notre contact avec lui était facile et nous le comprenions parfaitement mais nous avions bien conscience que quelque chose n’allait pas. Les médecins toutefois parlaient d’un simple retard de langage qui s’améliorerait avec le contact des autres enfants lorsqu’il entrerait à l’école.

Ecole et premières grosses difficultés

Il est entré à l’école maternelle un peu avant trois ans. L’intégration s’est bien passée. Il a même semblé plus heureux à l’école que chez la nourrice où il commençait certainement à s’ennuyer. Toutefois, contrairement à ce que nous espérions, le langage n’est pas apparu et, si la communication avec les adultes était assez facile, il n’en allait pas de même avec les autres enfants. Il a eu tendance, pendant ses premières années d’école, à s’isoler des enfants de son âge et à rechercher un contact plus protecteur auprès de fillettes plus âgées (l’école faisait maternelle et primaire). Les apprentissages étaient lents et les progrès peu rapides.

Vers trois/quatre ans les médecins ont commencé à se poser sérieusement des questions. Nous avons éliminé d’éventuels problèmes de surdité pour aller voir du côté « psy ». Après un bilan psychologique et de longs mois de démarches plus ou moins aisées, V. a été pris en charge, dans un CMPP, par une psychanalyste qui le recevait deux fois par semaine. D’emblée, le contact a été « difficile » avec nous et à notre inquiétude est venue immédiatement s’ajouter la culpabilité. La question était davantage « Qu’avions-nous bien pu mal faire pour en être arrivés là ? » plutôt que « Comment faire pour essayer qu’il s’en sorte ? ». Nous avons immédiatement demandé qu’il soit pris en charge par une orthophoniste et une psychomotricienne. Nous avons réussi à obtenir, après beaucoup de difficultés, une séance par semaine avec la psychomotricienne mais les séances d’orthophonie ont été refusées par le CMPP sous prétexte que « cela ne servirait à rien ».

Cela a duré deux années, pendant lesquelles, il n’y a eu que très peu d’améliorations. Le langage restait extrêmement rudimentaire, les acquisitions scolaires étaient très minces, V. semblait plutôt se refermer sur lui-même et, après une année supplémentaire en maternelle, le problème de la scolarité s’est posé.

Je rappelle que nous étions au milieu des années 1980 et que l’obligation de scolariser les enfants handicapés en milieu ordinaire n’existait pas ; il n’y avait pas d’auxiliaires de vie scolaire et les classes d’intégration étaient peu nombreuses. Pour l’Education Nationale, il n’y avait qu’une seule voie possible pour les enfants différents : IME, IMPRO, CAT et les parents qui osaient envisager un minimum d’intégration scolaire et sociale étaient considérés comme des parents qui se voilaient la face. Les Commissions d’Education Spécialisée, qui décidaient du sort des enfants, n’avaient aucun problème pour dire à des parents « si vous ne voulez pas le mettre en IME, vous n’avez qu’à le garder chez vous ».

Il a bien fallu que nous reprenions nos esprits pour trouver une solution. Le CMPP et la psy n’avaient, sinon aucun avis sur la question, en tout cas aucun conseil à nous donner !… Le médecin généraliste et le pédiatre pensaient que l’IME était loin d’être l’endroit idéal mais ne voyaient pas d’autre possibilité. Je suis donc allée avec mon fils visiter un IME ; nous y avons été très bien reçus, nous avons visité les locaux, rencontré des intervenants, vu des enfants. Le directeur nous a dit qu’il pourrait intégrer V. dans son établissement bien que, à son avis, ce ne soit pas tout à fait sa place mais la question a été vite réglée puisque, lorsque nous nous sommes retrouvés dans la rue, V., qui ne parlait pourtant pas encore beaucoup, a dit sur un ton définitif «je veux pas aller là ». Je crois que c’était la première fois qu’il alignait si correctement autant de mots à la suite les uns des autres.

Finalement, sur le conseil du pédiatre, nous avons rencontré la directrice de l’hôpital de jour du Centre de Neuro-Psychiatrie Infantile, avec laquelle le contact a été bon. V., par défaut, y est donc entré à 8 ans. Là encore, il n’était pas tout à fait à sa place : peu de scolarité, pas du tout d’orthophonie –à nouveau considérée comme inutile malgré notre insistance – mais par contre, un très bon psychanalyste et une équipe d’intervenants de qualité.

Le début de la sortie du tunnel

V. est resté trois ans à l’hôpital de jour. Je passe sur le fait que, pendant toute cette période, nous ne savions toujours pas quelle était l’origine de ses problèmes. Entre les diagnostics d’autisme, de psychose ; de déficit intellectuel, de retard mental, de retard tout court… nous avions le choix mais nous étions certains de faire fausse route. Nous avons même dépensé, à cette époque, pas mal d’argent auprès de quelques charlatans qui proposaient des méthodes miracle. Nous voyions bien que notre enfant était intelligent et que, s’il y avait indéniablement des difficultés celles-ci étaient une conséquence de ses problèmes de langage, qui malgré tout s’améliorait tout doucement, et des retards dans les acquisitions qui, eux par contre, s’accumulaient.

C’est alors que je suis tombée, dans un magazine féminin sur un article traitant des troubles du langage (Internet n’existait pas !). Nous avons immédiatement pensé que tout ce qui était décrit là ressemblait beaucoup à ce que nous étions en train de vivre. L’article donnait les coordonnées d’une neurologue et d’un service hospitalier – à Paris bien sûr – qui s’intéressaient au problème. Nous nous sommes donc empressés de prendre rendez-vous avec cette neurologue, le Docteur Gisèle Gelbert, et avec le service de neuro-psychiatrie infantile de l’hôpital Hérold (devenu depuis Robert Debré). Là, enfin – il avait onze ans - on nous a parlé de dysphasie.

Pour nous, même si cela ne réglait pas les problèmes, c’était un grand voile noir qui se déchirait. Nous pouvions enfin mettre un nom sur le handicap qui affectait notre fils et arrêter de nous torturer en nous demandant « ce que nous avions bien pu mal faire pour en arriver là ? »

Comme je l’ai dit, V. avait donc onze ans. J’ai demandé une mutation professionnelle à Paris, mon mari est resté à Rouen et nous avons pris des abonnements à la SNCF ! V. est entré dans une école privée à petit effectif. Il a été pris en charge d’abord par le Docteur Gelbert qui a réussi à déclencher le mécanisme de la lecture. L’hôpital Hérold, surchargé, nous faisait « lanterner » entre deux rendez-vous. Il a fallu attendre la création de l’hôpital Robert Debré pour que V. soit pris en charge par le Professeur Christophe-Loïc Gérard. Celui-ci a prescrit une rééducation orthophonique à haute dose (deux ou trois séances par semaine) chez une orthophoniste soigneusement choisie. Le langage oral s’est très nettement amélioré ; la lecture et l’écriture se sont mis en place peu à peu mais les retards scolaires accumulés étaient trop importants et n’ont jamais pu être rattrapés (en maths par exemple, V. n’a jamais compris la multiplication et la division).

C’est aussi la période pendant laquelle nous avons rejoint l’association Avenir Dysphasie qui venait de se créer. Là nous avons enfin rencontré d’autres parents avec lesquels nous avions quelque chose à partager.

De seize à vingt ans, Vincent a été scolarisé dans une classe adaptée du lycée Sainte Thérèse, géré par les Orphelins Apprentis d’Auteuil où il a pu, à la fois, améliorer un peu ses connaissances scolaires et commencer à réfléchir à son avenir professionnel en faisant des stages en entreprises. Il continuait toujours ses séances d’orthophonie deux fois par semaine. Parallèlement, l’association Avenir Dysphasie a créé un « club ados » qui a permis à nos jeunes d’avoir des copains, de sortir et de vivre une vie d’adolescent presque comme les autres

La vie adulte et l’intégration professionnelle

La question du choix professionnel s’est alors posée. Il nous semblait normal à tous de continuer sur la voie que nous avions choisie dès le départ, celle de l’intégration en milieu non protégé. Evidemment, cela ne s’est pas avéré simple. Nous sommes revenus à Rouen où Vincent a pu, là encore grâce à une association de parents, intégrer une formation adaptée menant à un CAP d’employé de collectivité. Il a été reçu aux épreuves pratiques et même aux épreuves orales mais il a échoué aux épreuves écrites : s’il a réussi à avoir 10 ½ en Français, ce qui donne une idée du chemin parcouru, les mathématiques lui ont été fatales.

A 24 ans, il s’est alors retrouvé, avec un tout petit bagage, sur le marché de l’emploi. Par chance, il a obtenu assez rapidement un contrat aidé pour travailler dans une maison de retraite. Je dis bien « par chance » car les entreprises ne sont pas vraiment disposées à embaucher des personnes dont la productivité est évidemment moindre que celle d’autres employés et que, CAP EMPLOI a même osé lui conseiller de rester chez lui, en bénéficiant de son Allocation d’Adulte Handicapé à taux plein, plutôt que de chercher un hypothétique emploi qui lui rapporterait à peine davantage.

Parallèlement à ses débuts dans la vie professionnelle, il a quitté le domicile familial et vit maintenant dans un petit appartement où il bénéficie d’un service d’aide à la vie quotidienne. Il se débrouille à peu près seul pour la vie de tous les jours (transports, courses, cuisine, entretien…) mais aura toujours besoin d’aide pour gérer son budget et faire face aux problèmes administratifs auxquels chacun est confronté.

Son langage oral est maintenant presque normal et lui permet d’avoir une vie sociale satisfaisante, avec ses collègues de travail par exemple, mais son stock de vocabulaire est réduit et ne lui permet certainement pas de s’exprimer autant qu’il le souhaiterait. La concentration que le simple fait de parler exige de sa part le fatigue vite et le conduit souvent à abréger ou éluder les conversations. La lecture et l’écriture sont rudimentaires mais lui permettent néanmoins un usage pratique minimum : programme de télé, liste des courses, numéros des bus, etc…

Conclusion

V. est maintenant un jeune adulte sociable, très gentil et apprécié de tous ceux qui le côtoient. Il travaille, il habite chez lui, il a des copains, il sort, il voyage, il sait se servir d’Internet. Il ne sera néanmoins jamais totalement autonome et même s’il semble « faire avec » ce que le destin lui a donné, je sais qu’il trouve dur et injuste de ne pas être comme les autres.

Pour notre part, nous gardons de toute cette aventure une impression de gâchis, de montagnes à déplacer, de bagarres inutiles avec les institutions mais nous avons appris à monter, avec notre fils, une marche après l’autre et à nous réjouir à chaque fois qu’une nouvelle est franchie.

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