Les tribulations d'un jeune dysphasique (1° partie)
Le témoignage de J-C est rare. Il nous offre une compréhension "de l'intérieur" de l'enfant et de l'adolescent dysphasique
La maternelle
Je m'appelle J-C. J'ai 24 ans. Depuis mon enfance, j'ai souffert de sérieux troubles de langage. Depuis l'age de 5 ans, j'ai suivi de manière intensive l'orthophonie. Ce n'est qu'à l'âge de 16 ans que mon orthophoniste m'a dit que mes troubles de langage étaient dus à la dysphasie. Ces troubles grâce à l'orthophoniste ont beaucoup diminué mais j'ai toujours des séquelles.
Mes parents ont aperçu le problème à la 2ème année de maternelle quand j'avais 4 ans : je ne parlais pas. Je commençais des séances d'orthophoniste 3 fois par semaine.
A la troisième année de la maternelle, je sortais des sons que seuls mes parents pouvaient comprendre. On a conseillé à mes parents de me mettre dans une maison pour retardé mental ! Mais heureusement, mon orthophoniste a pu intervenir en me défendant en disant que j'étais aussi intelligent que les autres et qu'il ne fallait pas désespérer. J'ai pour cela redoublé la 3ème année de maternelle. Avec ces problèmes de langage, il y avait un problème de coordination de gestes. Je ne pouvais pas attraper et taper un ballon. Je n'arrivais pas à faire les lettres. Jusqu'assez tard, je n'arrivais pas à faire les lacets ou m'habiller.
Le primaire
Durant le primaire, ces troubles sont restées. J'ai suivi l'orthophonie de manière intensive (trois séances par semaine). J'avais de grandes difficultés de prononciation. J'articulais très mal. Avec la prononciation, je n'arrivais pas à structurer les phrases. Par exemple, jusqu'à l'âge de 8 ans, je n'arrivais pas à faire des phrases et n'utilisais pas le pronom " je ". J'avais tendance à ne pas dire les prépositions, ou à les utiliser à mauvais escient. Je connaissais les règles de grammaire mais je ne pouvais pas les appliquer du fait des problèmes de compréhension du sens des phrases (qui fait quoi …). Je ne pouvais pas faire une phrase sans une faute de syntaxe. Mon vocabulaire était très limité.
Bien entendu, j'ai dû faire face à des moqueries et des insultes des autres élèves à cause de ces problèmes de langage. Je n'avais pas de copains, ce qui a alerté mes parents et mes professeurs. A cause de cela, je me suis replié sur moi-même (toujours seul dans la cour), d'où des séances avec le psychiatre (1 à 2 séances par semaine). Le rôle du psychiatre était de m'interroger dans moi-même pourquoi cela ne marchait pas avec les autres et comment je pouvais faire. Je pense également que c'était un suivi pour voir mon état. Pour les moments difficiles, le psychiatre m'administrait du magnésium.
Malgré ces difficultés, j'ai pu aller au collège. Comme les professeurs étaient conscients de mes problèmes et que j'étais sérieux, ils essayaient de me noter surtout sur le fond. Mais cette réussite s'est faite au détriment du temps de loisir. En effet, je n'avais pas le temps de m'amuser. Après la classe, c'était l'orthophoniste et le psychiatre. Les week-ends étaient souvent très occupés à cause de cela. Mais ce qui m'a sauvé, c'était surtout la volonté de réussir malgré mes difficultés et une forte relation entre les professeurs et l'orthophoniste qui m'a soutenu. Je n'ai pas eu vraiment d'enfance dans le sens de m'amuser. Mais je suis tout à fait conscient que c'était le prix à payer pour m'en sortir et éviter de sortir du système.
Le collège
Au collège, c'est là que les progrès ont commencé à être sensibles. Ils ont pu se faire grâce à ma conscience de mes problèmes. Les plus fortes difficultés étaient dans les domaines littéraires (principalement en langue). La bête noire pour moi était les langues et tout ce qui était rattaché à la rédaction, à l'expression, à la grammaire et à l'orthographe. Quand je parlais, j'arrivais à voir mes difficultés mais le problème était de les corriger ! Dans les devoirs, je m'énervais très souvent sur ma copie du fait de la difficulté du "comment le dire ?". Je savais quoi dire mais je ne savais pas le formuler. Par moment c'était assez déprimant. En effet, dans toutes les lignes, on ne lisait que " mal dit " ou les réactions négatives de certains professeurs. Il fallait souvent être meilleur que les autres pour compenser les pertes de points dues à ces problèmes de langage. Par contre, les relations sociales étaient toujours aussi catastrophiques. Mais j'ai pu continuer à bien progresser jusqu'à l'âge de 16 ans
Aujourd’hui
Maintenant, la plupart de mes troubles ont diminué, même si par moment ils reviennent. Bref, comme disait mon orthophoniste, je " conserverai toujours quelques éléments de la dysphasie ". On peut toujours atténuer les effets au minimum mais jamais les supprimer. J'ai toujours des difficultés à structurer mes phrases en français et surtout dans les langues étrangères. Lors d'une rédaction, je suis beaucoup plus long car je dois toujours remettre en cause ce que j'écris (sur la forme). Mais le plus difficile reste toujours l'oral du fait que je dois penser beaucoup de choses à la fois (penser à articuler et parler lentement, se poser les questions pour éviter les fautes de grammaire ou de structures de la phrase, etc ). Et quand j'oublie ces choses, je deviens encore assez incompréhensible (d'après ce que j'entends dire). Malgré ce handicap, j'ai pu faire une réussite scolaire. A la fois mes parents, mon orthophoniste et mes anciens professeurs n'en reviennent toujours pas. A cause de cette enfance, j'ai encore des difficultés à avoir des relations avec les autres.
Si je dois résumer, la clé de la réussite est surtout fondée sur les relations : Parents - Orthophoniste - Professeurs - Psychiatre.
S'il n'y avait pas eu cette relation et ces gens supers, je serai peut-être à l'école pour retardé mental ou je me serais au mieux arrêté en primaire. Mais grâce aux associations, on peut savoir que les enfants dysphasiques sont des enfants avec une intelligence normale. Quand mon orthophoniste m'a dit que j'étais dysphasique, je pensais que c'était une " maladie " typique à moi. Or, je me suis rendu compte que non.